Maître de conférences en langue et littérature françaises à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, désormais à la retraite, Jacques Le Gall a animé une passionnante conversation académique lundi 20 février sur le poète Georges Saint-Clair et ses fééries intérieures. Georges Saint-Clair, nom de plume de l’abbé Jean Bégarie reste ce poète talentueux, réservé aux intimes et pourtant couronné par l’Académie française. Nous vous proposons un abrégé de la plaquette de Jacques Le Gall relatant la vie de l’abbé Jean Bégarie, dont le nom de plume est Georges Saint-Clair.

Avez-vous lu Georges Saint-Clair ? De lui, Jean Dutourd a écrit qu’il est « le poète le plus méconnu aujourd’hui », l »un des plus forts, des plus délicieux que nous ayons eus depuis Toulet et Appolinaire » Sa musique ? Aussi pure que la leur. Son univers ? Personnel mais partageable, terrestre et chrétien…Jean Bégarie, c’est son nom à l’état civil, naît le 30 septembre 1921, « dans le temps qu’au ciel sont les Balances »
Il passe son enfance à Pontacq, aux confine du Béarn et de le Bigorre… C’est une enfance heureuse dans la vaste maison familiale qui longtemps résonne des bruite voyageurs d’une entreprise de roulage.

A ce foyer s’adjoignit dès l’enfance un second « territoire » à trois ou quatre lieues du premier : le presbytère de Gomer. Études et jeux y alternaient sous l’œil bienveillant d’un grand oncle. Il sera partout présent dans les écrits à venir, ce curé sage et lettré.

A Gomer, l’enfant découvrit des livres divers, le Bible, de vieux almanachs. Vignettes et estampes le faisaient longuement rêver… Le presbytère donnait sur un jardin, dit des hautes herbes… Puis sur des Campagnes qui n’étaient encore que champs patiemment travaillés, pâturages et arbres méditatifs. L’été, dans l’ombre des lisières, l’on entendait des moissonneurs frotter de silex le lame de leur faux.

C’est à Gomer que l’enfant commença d’écrire. A sept ans, il suivait ainsi, sans le savoir, l’exemple de Jean-Baptiste Bégarie, un oncle cette fois, dont les poèmes conservés prouvent que naissait un grand poète en langue gasconne quand la mort le faucha, dans la boue et la craie de l’Artois. C’était en 1915, il avait 23 ans
Jean Bégarie poursuit ses études au collège Saint-Joseph de Nay, tout contre une ferme encore virgilienne, en belle vue du pic de Gabizos. Il reconnaît, comme l’atteste cette dédicace à un ami pourvoyeur de livres (Jacques Magendie), l’importance de ce troisième « Territoire » en lequel il aura passé une si grande partie de sa vie.
Quand, après des années difficiles aux Grands séminaires de Bayonne et de Toulouse, il sera ordonné prêtre, en 1949 (assez tardivement par conséquent), le jeune homme est depuis plusieurs années déjà un infatigable lecteur et un sportif surdoué : vitesse, saut en longueur, rugby. Sa hiérarchie ne verra pas d’un bon œil ni les lectures, ni les performances sur la piste ou le pré… Cette hiérarchie ne goûtera pas davantage les méthodes que l’enseignant qu’est devenu l’abbé à Saint-Jo. Le professeur est rapidement éconduit.
Pendant trois décennies, Jean Bégarie exerce les fonctions de surveillant d’études, frère du « pauvre pion » de Jammes dans De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir. En vérité, il saura magnifier la pauvreté de ce qu’il s’amuse à appeler son « piontificat » :

Pupitre

Seigneur depuis trente ans (trois jours c’est la Passion)
Les mains sur ce bureau je suis le pauvre pion
Endeuillé de lustrine et brûlé de néon.

Là, parfois je te vois
Dans les veines du bois
Où veille la couronne
L’épine qui la nomme.

Ce rectangle incliné,
Les nœuds y sont des plaies

Et mieux que Véronique,
C’est un silence entier
Où se mêle à ta Face un peu de ma supplique.

Relégué dans la salle d’étude d’un collège béarnais ou dans des cures parmi les plus obscures (Lucgarier-Gomer et Lys, toujours au pied des Pyrénées), l’abbé Bégarie devint poète… Il ne devint vraiment Georges Saint-Clair qu’en 1953, dans la pesanteur – et l’apesanteur – de cette salle d’étude où tout, pour lui, prenait soudain des allures de navire en partance, surtout les soirs d’hiver, durant les longues, longues études du soir.

Sur le pupitre – ou plutôt le rectangle de bord – de chacun des élèves, Tite-live est ouvert, plus vrai que le journal du matin. Ou Tacite encore. Et César. Et Salluste. Autant de mers incertaines sur lesquelles on navigue.

Jean Bégarie est un solitaire définitif, quoique sa solitude ait trouvé à se nourrir d’innombrables lectures, d’indéfectibles amitiés, de tendresse. L’humour, de candides bravoures et une foi chevillée au corps aidant, le pauvre pion nayais et le petit curé de campagne auront tout de même fini par l’emporter en surmontent les souffrances.
Ne se laissant réduire par rien, le poète a d’abord écrit de minces plaquettes à compte d’auteur…. Et puis patiemment épurées afin qu’on n’entende plus que le musical silence, ces plaquettes devinrent des livres, fidèlement publies par les éditions Atlantica à Biarritz, couronnés en 1993 par le grand prix de poésie de l’Académie française, par l’Académie des Jeux floraux de Toulouse en 2009.

Georges Saint-Clair n’en a pas moins mis toute sa vie dans ses vers. Il a seulement choisi de rester discret : « Je n’ai pas tout dit… D’ailleurs, un poème auquel on accède pleinement n’est pas bon. Il faut des angles morts dans lesquels le rayon de l’intelligence ne parvient pas … »
En poésie, les rayons et les ombres, la solitude et les silences, obligent à humblement compter sur l’amitié d’improbables visiteurs : les lecteurs.

La Revue de l’Académie de Béarn n° 5 est parue
« Mes amis surréalistes » par Étienne Lassailly