Renouant avec les Conversations académiques, l’Académie de Béarn a accueilli le 19 octobre dernier dans la salle plénière, totalement rénovée, de l’Académie, villa Lawrance, l’abbé Jean Casanave, en présence d’une trentaine de membres et invités.

Un an après avoir publié « Le roman inachevé du boeuf de la crèche », Jan de Bartaloumé, autrement dit notre confrère l’abbé Jean Casanave, membre honoraire de l’Académie de Béarn, a écrit une suite, « Ces Incroyables croyants ». Son nouvel essai pose une question qui hante bien des consciences chrétiennes : « Pourquoi une Eglise si fortement et massivement implantée dans la culture française et européenne depuis des siècles s’est-elle si rapidement effritée au cours des trois dernières générations ? » 

Pour celles et ceux qui n’ont pu assister et prendre part à cette conversation académique, nous reproduisons ci-dessous la présentation prononcée par le président de l’Académie Marc Bélit et le texte de l’intervention de l’Abbé Casanave.

Marc Bélit : « Un voyage au cœur d’une Église en crise et d’une foi réaffirmée »

Jean Casanave se présente lui-même comme un prêtre béarnais, un « curé de campagne » au haut sens qu’en a donné Bernanos mais dans un registre moins tragique. Il n’en a pas moins vécu dans les joies et les drames de ses paroissiens, de ses fidèles à leur contact mais aussi au contact des jeunes, étant aumônier dans l’enseignement secondaire et universitaire, lui qui s’était aussi assis sur les bancs de la faculté de philosophie et de théologie de Toulouse. Curé de paroisse par choix pendant trente ans et responsable de la formation de ses frères chrétiens il n’a cessé d’écrire, de publier, d’alimenter un blog, de rédiger des chroniques hebdomadaires dans « l’Éclair » des Pyrénées. C’est donc tout naturellement ,que l’Académie de Béarn dont il est un membre éminent, l’a invité à venir disserter à propos de son dernier ouvrage : « Ces incroyables croyants ».

Ceci d’abord, parce que si l’Académie n’est pas une institution religieuse, elle n’en a pas moins l’habitude de se confronter à la question religieuse en tant que celle-ci est indissociable du paysage mental, spirituel et intellectuel de notre civilisation. Par ailleurs, ce qu’il advient de la religion chrétienne, longtemps dominante dans notre pays et pendant un siècle ou deux en lutte avec la République pour la maîtrise du social et du temporel a laissé des traces. C’est sur ce fond historique que la présence d’une religion séparée de l’État mais longtemps dominante dans les esprits et dans les mœurs, spécialement dans les campagnes de France mérite qu’on s’arrête et réfléchisse à la mutation qui a eu lieu durant les trois dernières décennies. Aussi, lorsque cette réflexion est portée par un religieux, un curé de village dont le titre bien modeste cache mal un esprit que l’on connait fin et inspiré, elle mérite qu’on s’y attarde.

La problématique de son propos condensée plus que résumée dans la 4° de couverture nous éclairera peut-être sur son propos. Que nous dit-il ? Quelle question le tourmente ?

Celle-ci : « Pourquoi une église si fortement et si massivement implantée dans la culture française et européenne depuis des siècles, s’est-elle si rapidement effritée au cours des trois dernières générations » ? Voilà bien une question qui est sur la table. Les sociologues s’en sont emparés et le dernier en date, Jérôme Fourquet dans « l’Archipel Français » montre bien la fragmentation culturelle et religieuse de notre pays dont le signe le plus apparent du point de vue qui nous occupe est la quasi disparition du prénom de Marie (20% le portaient en 1900, ils ne sont plus que 0,3% aujourd’hui alors que 18% des garçons portent désormais des prénoms arabo-musulmans attestant par-là a tout le moins d’une mutation culturelle). Pour aller vite, disons que J.Fourquet pointe là l’un des signes les plus visibles de la déchristianisation de la France. Ceci pour le cadre général, mais Jean Casanave n’aborde pas la question par ce biais et les prénoms qu’il cite dans son ouvrage sont tous de bons prénoms chrétiens. Il va plutôt montrer comment de génération en génération s’efface la pratique religieuse dans un monde qui vit toujours dans l’horizon de son clocher.

Il n’en cite pas moins un certain nombre de causes : « la mésalliance entre le dieu des chrétiens et les cultures contemporaines depuis la sécularisation amorcé au siècle des lumières jusqu’au scandale récent en passant par la mauvaise réputation du concile Vatican II ». Voilà qui a au moins le mérite de poser un certain nombre de questions historico religieuses liées à notre histoire nationale. Ceci d’autant que Jean Casanave y voit la raison de l’affaiblissement et de l’abandon progressif des pratiques religieuses : une cause politique (séparation de l’Église et de l’État) et donc perte du magistère de l’enseignement capital pour ne transmission. Une cause théologique, la crise post Conciliaire qui porta sur la liturgie (Vatican II), une cause sociologique aussi « car la pensée chrétienne et la foi restent à chaque fois inséparables d’une langue, d’une culture donnée, et qu’elles ont trait au génie du lieu où elles s’expriment » comme le dit très bien Jean-luc Marion. Et enfin « last but not least », un problème de mœurs que traverse actuellement l’Église et qui tient au scandale pédophile qui atteint 3% de ses membres environ. Cet ensemble de causes est suffisant sinon essentiel à alimenter le débat.

Mais Jean Casanave nous propose une autre hypothèse : « Et si cette crise profonde était provoquée par Dieu lui-même ? Un Dieu qui ne consent jamais à être réduit à une image ou un aspect de son mystère ! Un Dieu qui s’évade de toutes les définitions, qui nous oblige à le chercher toujours au-delà de nos représentations inaptes à saisir l’au-delà de tout et à balbutier l’indicible » ? Nous voilà basculés dans l’interrogation métaphysique. Elle a le défaut d’esquiver la question factuelle et l’avantage de rouvrir au spirituel, c’est-à-dire de nous inviter à passer de la question de l’Église et des pratiques des croyants (fussent-ils incroyables ), à celle de la croyance elle-même, c’est-à-dire de la foi. Accessoirement cela peut aussi nous instruire sur le rôle du prêtre, un temps tenté d’être un fonctionnaire du culte, voire un militant progressiste ou engagé, alors qu’il est fondamentalement « un célébrant de l’eucharistie qui fonde la communauté des croyants dans son existence même. » (J-L Marion.) Il semble du reste que la réflexion contemporaine s’oriente ces temps-ci vers cette question se détachant un peu de l’obsession d’être dans le siècle. Simple observation.

C’est donc à ce petit voyage au cœur d’une Église en crise et d’une foi réaffirmée que nous invite l’abbé Jean Casanave que nous allons entendre et écouter avec attention.

L’abbé Jean Casanave : « Quelle est cette crise profonde qui terrasse l’Eglise ? »

Chères consœurs et chers confrères,

Mesdames et Messieurs,

Je dois remonter trois ans en arrière et vous emmener dans la salle d’anesthésie d’un hôpital pour vous situer l’origine de ce petit livre « Ces incroyables croyants » et d’abord celle de son frère aîné « Le roman inachevé du bœuf de la crèche ».

Question rituelle du jeune médecin qui sondait mon bras à la recherche d’un nerf volontaire pour la perforation : « Quelles sont vos activités, Monsieur ? » devinant assez facilement que je n’étais plus « en activité ».

Réponse : Jardinage, accueil de personnes en quête de verte campagne et de dialogue puis quelques explications sur les textes bibliques à la demande.

  • La Bible ? Ce n’est pas mon fort avoue le jeune praticien !  Moi, la Bible zéro…renchérit l’infirmière à ses côtés.

Revenu chez moi, et condamné à une certaine inactivité, l’idée a germé de donner la parole au bœuf de la crèche que l’on n’avait jamais entendu et de lui faire parcourir 20 siècles de Christianisme en distillant au passage quelques éléments de base qui pourraient constituer le minimum syndical religieux d’un français averti. Ainsi est né « Le roman inachevé du bœuf de la crèche » qui se termine sur la vision impressionnante du Pape François, seul, au milieu de l’immense place Saint Pierre, en pleine épidémie, demandant au monde de garder Foi et espérance.

Et c’est l’éditeur lui-même, qui s’étant pris d’affection pour la bête de somme, m’a suggéré de me pencher sur le bilan apparemment catastrophique de cette Eglise, qui au terme de 20 siècles de heurts et de malheurs, paraissait prête à entrer dans « l’hôpital de campagne » que le Pape François aurait voulu qu’elle soit pour le monde. « Comment l’Eglise si massivement et fortement implantée en particulier dans le monde rural a-t-elle pu s’effondrer en si peu de temps ? » Tel était son questionnement.

Traduction concise et ciselée de notre Président pour le devoir qu’il m’inflige : « La fin des paysans, l’effacement de la religion ? » en précisant l’importance du point d’interrogation.

Je n’ai pas la prétention de porter un diagnostic sur la religion en général et je me contenterai de réfléchir sur l’effacement d’une religion : le Christianisme. Le thème est d’actualité et je n’en veux pour preuve que l’ouvrage très documenté de l’historien Guillaume Cuchet : « Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France » qui a été remarqué par la presse. Quant aux dernières révélations du rapport Sauvé, elles viennent frapper l’édifice comme l’ultime déflagration jaillie de l’intérieur. Faut-il se pencher encore sur des ruines ?

La question de mon éditeur ne m’était pas étrangère. J’avais dans mon enfance connu les réunions des états major de la JAC (Jeunesse agricole catholique) qui venaient dessiner leurs plans de campagne dans la salle dite des Jurats de ma maison maternelle. Ce monde des militants comme ils se dénommaient alors sentait bon le dynamisme et l’enthousiasme d’un printemps de l’Eglise. C’était mon enfance…

Ma jeunesse avait connu 6 prêtres vivants originaires de mon village qui devait compter à cette époque 200 habitants. Aujourd’hui une seule personne se risque à aller à la messe dominicale au chef-lieu de canton.

J’avais donc connu les dernières braises de ce que l’on a appelé la Chrétienté dans une de ces régions de France que le Chanoine Boulard, sociologue reconnu de l’époque, avait répertoriée comme l’une des places fortes du catholicisme en France.

Dieu y était majoritairement reconnu comme le Créateur du ciel et de la terre, le grand ordonnateur des saisons et de la météo, le distributeur des bienfaits et des peines et enfin le juge impartial qui attendait au tournant ceux qui trichaient avec le décalogue.

L’art sacré avait placé au sommet des retables la figure tutélaire d’un Dieu tenant le globe dans une main et le sceptre de la puissance dans l’autre et tous les autres figurants de ce diaporama doré se positionnaient dans un ordre immuable au-dessus de l’autel. Seule la Vierge Marie, par un excès de piété de l’artiste ou du curé s’élevait parfois au-dessus de son Fils ressuscité en gloire, ce qui théologiquement est fort discutable.

Mais pour la plupart de ceux qui en sortant de la maison de Dieu passaient par le cimetière pour retrouver leurs parents qui avaient pris de l’avance, Dieu était le portrait sublimé du maître de maison, propriétaire terrien, gérant son petit royaume selon les coutumes héritées de ses ancêtres et tout à fait en accord avec les principaux commandements de la table de Moïse : respect du père et de la mère, pas de vol, pas d’adultère, point d’homicide ou de mensonges. L’ordre immuable des champs était assuré et le fils prodigue pouvait attendre longtemps encore sa réintégration : A chacun ce qu’il mérite et quand on a mangé des raisins verts, on ne se plaint pas d’avoir mal aux dents.

Ainsi, je jardin cultivé dans la peine et la sueur des fronts devait constituer une sorte de copié-collé de l’Eden qui nous serait restitué en paradis. Le temps et l’espace étaient encadrés et gérés par la sonnerie des cloches et les croix de mission. A chaque saint du calendrier sa récolte ou ses semailles, à chaque croisement de chemin sa croix pour indiquer la direction de ciel.

Loin de moi l’idée de vous brosser un tableau idyllique de ce décor champêtre, celui de l’angélus de Millet, dans le but de vous faire regretter ce monde qui n’était enviable que parce qu’il était celui de l’enfance. J’ai trop connu l’envers du tableau pour vous entraîner à cette nostalgie du passé magnifié qui s’empare parfois de ces citadins revenants sans l’avoir connu réellement. Non, la vie n’était pas ce « long fleuve tranquille » mais bien plutôt cette « vallée de larmes » qui voyait s’évanouir les rêves d’une terre toujours promise jamais acquise et pas toujours généreuse.

Michel Serres répétait souvent qu’il s’était passé à la fin du 20ème siècle un évènement encore plus important que la découverte de l’imprimerie : Pour la première fois depuis 10000 ans (l’âge de l’agriculture) des petits enfants n’avaient plus de grands parents paysans. Il s’est produit là une cassure anthropologique dont on ne finira jamais de mesurer l’ampleur. Vers le milieu du dernier siècle l’ordre de la nature et de la culture (L’agri/culture) adossé à l’ordre sur/naturel et sur/culturel s’est brisé et a vacillé.

Les causes en sont lointaines.

  • Tout d’abord l’industrialisation du pays qui a aspiré petit à petit les jeunes générations qui commençaient à regarder par-dessus les haies de l’enclos.
  • Le mot d’ordre de l’après-guerre qui commandait d’assurer l’alimentation d’une population éprouvée par les restrictions et avide de biens de consommation.
  • L’introduction de la mécanisation et de la chimie dans la profession ainsi que l’entrée de l’agriculture régionale dans  l’économie européenne puis mondiale qui ont fait du paysan un agriculteur devenu le maître de l’espace et du temps. Ce n’était plus la terre qui commandait le choix de telle ou telle culture mais son amendement. De même, ce n’était plus la bête de somme qui avait besoin de repos mais le tracteur insomniaque et infatigable qui devenait « le maître des horloges ».

On changeait de monde ! Mais peut-être, plus fondamentalement, ce qui jusque là était considéré comme un Bien (la terre) avec sa dimension patrimoniale et morale devenait un simple outil de production. Ajouté à cela, que cette même terre n’étant plus le centre d’intérêt d’une majorité de la population des villages, celle-ci n’élisait plus au poste de premier magistrat l’agriculteur qui avait le mieux réussi. Le paysan se plierait désormais au plan d’occupation des sols après avoir tenté un remembrement.

Pendant ce temps le Dieu créateur du monde qui faisait la pluie et le beau temps se sentait de plus en plus seul au dernier étage de son retable. La prière n’intervenait que très peu dans les pourcentages du revenu annuel brut ; Laisser leurs enfants entendre au catéchisme « Bienheureux les pauvres » n’intéressait guère les jeunes parents qui justement faisaient tout pour ne plus l’être et le nombre des inscriptions diminuaient. Même le Dieu de la fécondité et de l’immunité des troupeaux invoqué le jour de la fête de saint Blaise ne déplaçait plus les éleveurs endimanchés.

C’est alors que l’Action Catholique mit en valeur la figure de Jésus travailleur préparant avec nous le Royaume de Dieu. Les jeunes chrétiens, aidés par les Jésuites, retrouvèrent le goût des rencontres, des recollections, du partage des évangiles, de la formation humaine. A Pau, sur la place Verdun, des centaines de jeunes de la JAC juchés sur leurs tracteurs envahissaient cette parcelle de la vallée d’Ossau, le temps d’une mémorable fête de la Joie. Mais la joie ne dura pas très longtemps. Le slogan « Faisons chrétiens nos frères » des Jocistes voulait atténuer la rigueur et parfois la violence de la loi économique soutenue par des idéologies sûres d’elles-mêmes et sans pitié. La JAC, quant à elle, ne voulait surtout pas oublier les moins chanceux et les petits. Mais cet idéal s’est écrasé sur la statue de la nouvelle idole : le productivisme, nouveau nom de l’ancien Mammon.

Après les belles envolées de l’Action Catholique et autour des années 70/80, les charismatiques fascinés par le succès des évangélistes made in USA se firent les champions du retour de l’Esprit saint. Finies les campagnes d’année qui voyaient les militants mettre en œuvre tel ou tel thème et jetait leur dévolu sur telle ou telle réalité du Royaume à venir : partage des biens, solidarité avec les exclus, coopération, aide aux pays du tiers monde etc…Il fallait désormais parler au cœur du croyant, réveiller sa sensibilité, former des communautés chaleureuses et empathiques pour que l’Esprit vienne soulever la pâte humaine. Ces nouveaux adeptes de l’Esprit Saint n’évitèrent pas toujours la tentation de l’entre-soi ou l’adulation de certains bergers ou spirituels qui exercèrent parfois une emprise néfaste sur leurs fidèles.

Mais pendant ce temps-là des laïcs se formaient de mieux en mieux, surtout les femmes. Il n’y a jamais eu autant de femmes théologiennes ou biblistes qu’aujourd’hui ni autant de laïcs engagés dans la vie paroissiale ou dans les organismes ecclésiaux. Il faut reconnaître que ce phénomène touche surtout les grandes agglomérations et que lorsqu’on prend goût aux études, il est difficile de revenir aux tâches répétitives et moins valorisantes du temps ordinaire.

Et voilà que les révélations du scandale des pédocriminels viennent plomber les velléités d’un renouveau de l’Eglise qui éclairait certaines communautés urbaines rajeunies par un apport de fidèles issus de jeunes Eglises d’Afrique ou d’Asie. En effet, pendant que les paroisses rurales perdaient en masse leurs effectifs, les églises périurbaines, en particulier, prenaient de la couleur, du rythme et du tonus.

Au terme de ces constatations, guère réjouissantes sauf pour ceux qui enragent toujours de voir les chrétiens se comporter en simples citoyens conscients et actifs, capables d’exprimer au grand jour leurs opinions  ou de remettre en question celles des autres, faut-il désespérer ?

  • Oui, le Dieu créateur s’était installé confortablement dans les cultures occidentales et les gens de la terre avaient établi avec Lui une alliance (ou une relation pour parler neutre) souvent utilitaire. Quand le paysan est devenu agriculteur et que celui-ci a quitté l’Eglise pour fréquenter les silos-Ziggourats des grandes coopératives, le Dieu créateur s’est trouvé sans emploi.  Mais n’avait-on pas oublié qu’il était également Père et même créateur parce que Père, ce qui colore différemment la majesté divine?  
  • Le Jésus travailleur, réparateur de la création cassée par le péché et artisan du Royaume à venir avait enthousiasmé les jeunes jocistes de l’après guerre et envoyé quelques prêtres en usine. Ils avaient découvert une religion moins passive que celle qui était sous les ordres du Créateur englobant toute la vie de chaque fidèle dans toutes ses dimensions. Mais n’avait-on pas oublié que ce Jésus ingénieur ou ouvrier était d’abord Fils du Père entièrement habité et mû par son amour filial : « le Père et moi sommes un » « Je suis dans le Père et le Père est en moi ».
  • Oui, il fallait donner toute sa place à l’Esprit le grand oublié des catholiques à l’inverse de leurs frères orthodoxes, mais là encore n’avons-nous pas oublié qu’il a toujours du mal à emprunter les chemins balisés qu’on voudrait lui imposer et, comme le vent, qu’il souffle où il veut et parfois à contre sens !

Pour conclure j’ose avancer une hypothèse.

A travers l’histoire véridique de trois générations d’une même famille dans laquelle nombre d’entre nous se reconnaîtront, j’ai essayé de retracer le chemin de ces croyants qui au terme de leur vie se posent la question que Lucienne ne cesse de répéter : « Qu’avons-nous fait ou plutôt que n’avons-nous pas fait pour mériter cela ? ».

Cette crise profonde qui terrasse l’Eglise n’est-elle pas provoquée par la nature même de Dieu qui ne peut se résoudre à être défini par des mots aussi théologiquement corrects qu’ils soient, coloré par des images qui en fait nous ressemblent au lieu de nous introduire dans son mystère, paré de symboles, de gestes, de rites, d’ornements qui enferment le divin dans des outils conceptuels de création humaine. Avons-nous conscience que chaque fois que nous disons quelque chose de Dieu sans laisser une porte ouverte vers une autre expression ou un autre reflet de son être, nous risquons de fabriquer une idole. Il faudrait reprendre ici la distinction de Bergson entre le clos et l’ouvert non plus appliqué à la morale mais à Dieu lui-même.

Face à cette infirmité du langage faut-il se taire définitivement devant Dieu. Paradoxalement la Bible qui fourmille pourtant d’anthropologismes réducteurs de l’être de Dieu offre une issue à ce silence. Toute son histoire consiste à dire non aux dieux pour dire Oui à Dieu.

Bref, cette crise n’est-elle pas le moment favorable offert aux humains pour se poser à nouveaux frais l’unique question qui vaille la peine : Si Dieu existe, qui est-il? et l’on peut entendre en écho « Pour vous qui suis-je ? »… Interrogations qui n’en finiront jamais de nous tarauder !!

« Ces Incroyables croyants » de l’abbé Jean Casanave, préface de René Poujol, aux éditions Médiaspaul

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